La honte toute nue

Je suis debout, nu comme un ver, et elle me parle. Il est un fait plutôt surréaliste qu’elle n’en fasse pas mention. Pas un mot soufflé ni l’ombre d’un signe malaisé. Rien. Comme si de rien n’était, elle ne cesse de parler. Elle me dénombre ses expériences passées, réfère à d’anciens voyages, autant de très commerciales croisières que la visite d’obscurs pays qu’on croirait presque imaginaires. Mais moi, qui suis dénudé, devant elle. Ne suis-je pas étrange et intéressant, moi aussi ? Pas assez pour faire compétition avec son passé ? J’ai honte. Mais pourquoi avais-je senti le besoin de m’effeuiller pour attirer son attention? Normalement, ça devrait l’émoustiller, au moins la provoquer! Je n’ai pourtant pas un physique repoussant!

Non. Rien.

Force est d’admettre que cela ne fonctionne pas: une lamentable et pitoyable tentative de séduction ratée. J’ai beau lui faire les yeux doux, monter mon plus charmant profil, brandir des atouts plus qu’il ne le faudrait d’ordinaire, mais rien n’y fait. Elle ne réagit qu’à mes interventions verbales lesquels se résument à des «hum, hum», des «Oui!» et des «Non…». Qu’est-ce qui ne va pas chez elle ? Et elle. Elle palabre comme si de rien n’était. Comme si je n’étais pas assez nu pour elle. Pas assez spécial pour qu’elle me remarque vraiment.

Et tous ces passants qui me dévisagent. Certes, je suis honteux. Qui ne le serait pas? Je sens mes joues roser du fait de me savoir scruté par tous ces yeux qui me fixent, ceux des piétons, des commerçants, des voyageurs et autres travailleurs sur leur heure de lunch. Autour de moi, les gens me fixent d’un air gênant. Certains chuchotent, d’autres ferment les yeux de leur enfant avec leurs mains. Tous ne peuvent rester indifférents face à ma splendeur nue. J’en entends qui s’agitent un peu et qui font des commentaires, scandalisés par la vue de ma peau. Je sens que mon temps achève, qu’on n’acceptera pas de me voir ainsi bien longtemps encore. Pourtant, ne voient-ils pas que je tente désespérément d’attirer son attention par tous les moyens?

Et elle qui blablate sans arrêt en me parlant de sa vie d’avant, celle future, celle qu’elle aurait bien voulu avoir et celle qu’elle n’aura jamais. Et moi, dans tout cela? Ai-je une place dans son futur? Je n’en ai pas un iota d’une dans son présent…

Deux policiers l’air mécontent me regardent droit dans les yeux et me font signe de me rhabiller promptement. Fâché de ne pas avoir eu ce que je voulais, je remets mon caleçon. Je m’excuse auprès de celle qui ne s’est toujours pas rendu compte que je ne l’écoutais plus. » Je raccroche le combiné et sors de la cabine téléphonique les mains en l’air. On m’escorte finalement jusqu’à l’asile d’où je m’étais évadé. Je la rappellerai peut-être une autre fois.

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